Repères pour un suivi de recherche

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Si l'on conçoit l'école comme un lieu équitaire visant plus les acquisitions durables que la sélection d'une élite scolaire, un éducateur est quelqu'un qui se réfère à une définition précise du concept d'apprentissage. Or les dernières recherches ne sont pas encore parvenues à en établir une qui fasse consensus dans les mondes scientifiques et éducatifs.
Pourtant, l'agir pédagogique nécessite, au moins de manière implicite, un recours à des repères caractérisant l'acte d'apprendre. A ce jour, plusieurs systèmes cohérents coexistent.
Dans cette optique, nous avons choisi de nous appuyer sur une définition inspirée de l'histoire des pédagogies coopératives, en particulier de l'œuvre de Célestin Freinet et des pionniers de la pédagogie institutionnelle. Il se trouve que ces repères sont en parfaite cohérence avec la théorie de l'apprentissage par la construction des langages développée par Bernard COLLOT et avec les dernières recherches menées en neurobiologie.
En conséquence, le projet des classes uniques et coopératives conduit à l'école élémentaire Antoine BALARD s'appuie sur les déterminants suivants pour définir l'acte d'apprendre :

1 - apprendre correspond à une modification durable de la structure neurobiologique initiale.

2 - cette modification est le fruit d'un travail intellectuel appartenant au sujet apprenant.

3 - les facteurs qui favorisent cette modification semblent être :
- La disponibilité psychique et physiologique du sujet apprenant : son aptitude à se rendre attentif au moment de la situation d'apprentissage. Cette disponibilité fait référence à un climat de sécurité nécessaire à l'épanouissement de tous, cette sécurité passant par un recours à un système de règles sociales comprises, discutées et révisables par tous ;
- La disponibilité cognitive du sujet apprenant liée aux caractéristiques des informations à traiter (facteur en lien avec le concept de zone de proche développement). Cette disponibilité est d'autant plus présente que les activités en cours font sens pour l'enfant et peuvent conduire à des situations de communication ;
- Une estime de soi basée sur une capacité personnelle à se considérer comme être pensant, auteur et acteur de son existence. Cette conviction peut difficilement éclore dans une relation pédagogique inhibitrice qui voit l'activité de l'élève dépendre de celle de son enseignant ;
- la prise en compte de ce que les didacticiens nomment les " représentations ", c'est à dire l'expression de la structure neuro-cognitive initiale ;
- une correspondance entre les questions que se pose l'enfant et la nature des informations qu'il est amené à traiter ;
- un choix possible quant aux activités à réaliser, en particulier pour celles relatives aux profils d'apprentissages ;
- la multiplicité des sollicitations et la récurrence de leur recours. Cette multiplicité concerne aussi bien la nature des informations que les personnes qui peuvent en être les vecteurs ; il est ici question des situations de coopération où les pairs peuvent devenir des sources d'informations ;
- Le droit à l'erreur qui optimise le désir de s'engager dans des actions même si on sait qu'elles peuvent conduire à des impasses.

4 - la durabilité des apprentissages est développée par l'intermédiaire de : - la multiplicité des sollicitations et la récurrence de leur recours ;
- un rapport à la complexité des savoirs, ce qui évite la confrontation à des compétences didactisées et autorise l'adidactisme (concept développé par Brousseau) ;
- diverses situations d'enseignement vécues selon divers points de vue. La coopération entre enfants est aussi l'occasion pour ceux étant en position d'experts de mobiliser une nouvelle structure cognitive de manière à ce qu'elle puisse correspondre à celle existante chez des enfants demandeurs ;
- un allongement de la durée " année scolaire " entraînant un allègement de cette contrainte temporelle.

Pour entrer en cohérences avec cette conception de l'acte d'apprendre, un dispositif pédagogique a été mis en place. Ainsi, les enfants sont amenés à apprendre à travers :
- l'entretien d'un système de règles sociales garantissant la sécurité et le respect de chacun. Par l'intermédiaire d'un conseil coopératif quotidien et le jeu des propositions-critiques-remerciements, les enfants sont amenés à entrer dans une logique d'auto-organisation de leur vie scolaire ;
- la détermination, le suivi et le bilan de plans de travail individuels et collectifs. Grâce à ces documents de personnalisation de travail scolaire, les enfants sont capables de savoir quelles sont les tâches qui leur correspondent de manière à pouvoir organiser leur emploi du temps autour des rendez-vous collectifs ;
- à travers ces plans de travail, les enfants ont la possibilité d'émettre des choix, de les vivre et de les assumer. Ceux-ci s'appliquent lors de tous les temps de travail personnalisé et lors des moments d'ateliers de classe ou d'école ;
- les situations de communication des projets et de correspondance multi-classes conduisent à construire des langages spécifiques et à fédérer les groupes autour d'une réflexion collective. A travers les exposés réalisés par les enfants avec l'aide des ressources de l'école ou par le truchement d'un texte libre ou d'une création mathématique, les enfants découvrent de manière vivante les principales informations qui pourront devenir des compétences et qui jalonnent les programmes de l'école élémentaire. Ces découvertes et les apprentissages qui en découlent se mobilisent lors des temps de travaux personnalisés avec ou sans l'enseignant et lors des phases collectives où chacun met à disposition de tous ses connaissances et compétences ;
- l'emploi de l'outil " ceinture " qui s'exprime à travers la Démarche PIDAPI conduit les enfants à organiser leur travail de manière coopérative. Cet esprit laisse de côté les stratégies de compétition pour donner vie à un esprit d'entraide à travers lequel chacun peut espérer bénéficier de l'aide d'un autre reconnu expert en échange d'un engagement à fournir à son tour une aide dans ses domaines de maîtrise ;
- l'évaluation en classe est avant tout formatrice, ce qui implique qu'elle s'appuie sur une évaluation diagnostique initiale, devienne sommative lorsqu'une ceinture est obtenue et reste formative en cas d'erreur.

La place et la fonction de l'enseignant

L'enseignant n'assure plus du tout la distribution de l'information. Son rôle tout nouveau va être :

- d'aménager l'espace classe de telle façon que l'environnement proche de l'enfant soit le plus riche possible, c'est à dire producteur d'un nombre important d'informations.
- De mettre en place un embryon de la structure.
- De permettre à cette structure de se construire et d'évoluer.
- D'aller vers les enseignés pour les aider. Les apprenants sont dans l'action, l'enseignant lui est derrière eux, parfois avec eux. C'est là seulement qu'il pourra favoriser l'auto-structuration, aider à dénouer des blocages. Lui aussi doit se déplacer. Le précepteur était à côté, l'enseignant traditionnel était devant, le nouvel enseignant est derrière et avec. Dans la structure il est un véritable médiateur.

 

Le bilan d'une première année de pratique a permis d'isoler des domaines sur lesquels des adaptations sont encore à aménager :

- le rapport à la culture, en particulier aux œuvres artistiques et littéraires ;
- le suivi et la valorisation des projets d'enfants de manière à ce que la participation à des ateliers ne conduise pas à un effet " zapping " qui apparaît comme contraire à la construction de langages ;
- l'aide apportée aux enfants en très grande difficulté pour qui le dispositif coopératif de la classe ne semble pas suffire pour leur permettre d'être disponible aux apprentissages ;
- le partenariat avec les familles et leur entrée dans les classes avec pour objectif l'enrichissement des sollicitations proposées aux enfants ;
- la perpétuelle ouverture de l'école sur l'extérieur et la prise en compte des évolutions de la vie du quartier, de la région et de la société.

Le suivi de ce projet de classes uniques et coopératives en école urbaine peut donc être fécond s'il tient compte de ses fondements. Il serait vain de vouloir le jauger à partir de repères pédagogiques ou didactiques dont il ne se réclame pas forcément. Nous proposons dans ce document une liste de repères qui peuvent servir de support aux observations et prises d'informations.
Le chantier est encore important et les contributions coopératives de tous sont nécessaires plus que jamais. L'enjeu est toujours la quête d'approches éducatives permettant à tous d'user de l'école comme ascenseur social et comme ferment de citoyens libres et responsables.