Historique
L’école coopérative Antoine
BALARD accueille près de 200 enfants de 6 à 12 ans. Elle est située dans un
quartier populaire de Montpellier et est inscrite depuis leur création en Zone
d’Education Prioritaire. La quasi-totalité des enfants est d’origine maghrébine.
L’équipe enseignante est composée d’une douzaine de personnes, certaines
intervenant à temps partiel sur les classes. Nous ne disposons d’aucun moyen
supplémentaire particulier.
A ce jour, l’école Antoine BALARD est
reconnue par la caractéristique coopérative de son projet qui s’appuie sur
les pédagogies Freinet et institutionnelles. L’école est signalée depuis 2005
comme une « école à projet spécifique » sur la liste des postes du
mouvement départemental. L’accès aux postes de l’école est identique à celui des
autres écoles. Elle évolue en étroit partenariat avec l’ICEM[1] du département de l’Hérault.
Elle permet aux enfants qu’elle accueille de travailler en s’entraidant, selon
des chemins scolaires choisis, dans des classes régies selon le principe de
démocratie directe et participative. En ce sens, elle contribue à faire de ces
enfants de futurs adultes auteurs, acteurs et agents d’attitudes réfléchies,
personnelles et démocratiques. Cette « fabrique de citoyens » s’appuie
sur de l’engagement pédagogique pour favoriser de l’excellence scolaire.
En tant que sortant de l’IUFM,
je suis arrivé dans cette école en 1999 et j’ai pu observer des changements
profonds de son projet pédagogique. La plupart du temps et bien que sur cette
école une vie, du travail, une équipe, de la pensée existaient depuis
longtemps, les changements sont intervenus pour tenter d’esquisser des
difficultés rencontrées dans les classes ou lors des temps de récréation, avec
l’intention d’entrer davantage dans des processus de prévention que dans des
stratégies de gestion des problèmes. Il paraissait en effet toujours opportun
d’éviter les situations de crises ou d’extrême complexité en tentant d’adopter
auprès des enfants et au sein de l’équipe d’adultes des attitudes qui visent à
se trouver en légère anticipation. Une des caractéristiques de cette évolution
est qu’elle s’est toujours appuyée sur les personnes nommées sur l’école. Pour
chaque projet, des commissions ad-hoc se sont constituées. Elles ont permis la
construction de propositions autour des personnes volontaires et disponibles, la
liberté de participation laissant à tout moment la possibilité d’intégrer ou de
quitter les groupes de réflexion. Dans la mesure de cette ouverture, les
présentations lors des conseils de maîtres, devant l’ensemble des membres de
l’équipe, n’ont jamais conduit à une refonte importante de ce qui avait été bâti
en commission.
Voici donc les principales
étapes qui ont présidé à la construction du projet pédagogique de l’école
coopérative Antoine BALARD, tout du moins celles que j’identifie comme
telles.
En janvier 1998, devant la
détérioration du climat de sérénité dans les classes et dans la cour, devant la
rudesse des rapports entre certains enfants, devant la difficulté grandissante
de proposer à chacun des temps d’enseignements propices aux apprentissages,
l’équipe enseignante de l’époque a demandé et obtenu une semaine de formation.
Avec l’aide du mouvement Freinet du département, le stage d’école a été
l’occasion d’effectuer un travail de réflexion autour d’outils comme le conseil
coopératif de classe, les plans de travail[2] et les « Quoi de
neuf ? » Comme l’insuffle la loi d’orientation de 1989 sur la
politique éducative des cycles, ce stage a également permis de prévoir et de
créer à la rentrée suivante ce qui allait fortement colorer le devenir de
l’école : des classes de cycle III regroupant des enfants inscrits en CE2,
CM1 et CM2.
La première intention était de
scinder les groupes de CM2, connus jusque là pour cristalliser les tensions et,
dans les classes, exacerber les phénomènes psychosociaux d’émergences de leaders
et de désignation de boucs-émissaires. Au départ, deux classes de cycle III ont
été constituées, animées par trois enseignantes, dont une en surnombre (son
poste d’accueil des enfants étrangers l’a permis pendant une année). Rapidement,
une seconde intention s’est développée en raison du caractère hétérogène des
classes : celle de permettre aux enfants de travailler non plus seulement
autour de notions choisies par l’enseignant mais plutôt à partir de l’ensemble
des compétences de cycle III, dans leur zone de proche développement. C’est
ainsi que sont apparus les plans de travail et les fichiers autocorrectifs
favorisant le travail personnel. En même temps, ont été initiés des groupes de
parole tels que les « Quoi de neuf ? » où les enfants font part
devant leurs pairs de petites histoires quotidiennes ou leur présentent un objet
ou un texte qui a particulièrement retenu leur attention.
Malgré la disparition du poste
supplémentaire sur l’école, ces classes de cycle III ont montré que le brassage
des âges entraînait comme espéré une plus grande sérénité de travail, que les
enfants semblaient entrer plus facilement dans des attitudes d’élèves et
qu’elles ne demandaient pas davantage de préparation pour les enseignants. Elles
ont donc été reconduites et même rapidement étendues à toutes les classes
accueillant des enfants de ces âges.
Pourtant, il ne suffit pas de
décréter de nouveaux espaces de libertés pour que les enfants les investissent
avec le souci de l’autre et en s’y exerçant de manière responsable. Deux grands
chantiers sont alors apparus au sein de l’école : un autour des outils de
travail personnalisé et un second concernant la prévention des phénomènes de
violences dans l’école. Le premier chantier, dont le travail se poursuit encore
aujourd’hui, a consisté à élaborer un ensemble d’outils et son contexte d’emploi
autour de la technique des ceintures apportée par Fernand OURY. C’est ce que
nous avons nommé la « Démarche PIDAPI. » Ces outils permettent à
chaque enfant de « grandir » vers l’entrée au collège en suivant les
couleurs de ceintures en maths et français. Le deuxième chantier engagé a
conduit à la création d’un conseil d’élèves d’école, appelé « le conseil de
coordination » dont le but est d’harmoniser l’ensemble des projets qui
naissent au sein des classes et qui concernent toute l’école. Progressivement et
avec l’aide des adultes, ce conseil a introduit un règlement de cour et un
permis à points. Ce dernier, à l’image du permis de conduire dont disposent la
plupart des adultes, vise à inciter les enfants à mesurer symboliquement une
infraction au règlement de cour et à prendre conscience de la portée de ses
limites. Il s’est également montré opportun lorsqu’il permettait l’inverse,
récupérer des points en rendant service à l’école. Deux années plus tard, pour
minimiser le caractère répressif d’un tel permis à points, les enseignants ont
proposé à quelques enfants volontaires de devenir des « médiateurs de
cour. » Loin d’occuper la fonction de « petits chefs », ceux-ci
ont pour fonction de se mettre à disposition des enfants de l’école afin de les
aider à résoudre par leurs propres moyens les petits conflits qui caractérisent
les relations humaines. C’est par leur intermédiaire que les « messages
clairs, » une technique orale non-violente de traitement des différends,
est devenue une composante partagée dans toutes les classes.
Ainsi, par réajustements et
adaptations successifs, les groupements d’élèves ont mué en classes coopératives
qui, aidés par leur caractère hétérogène, ont fait de la coopération et de
l’entraide l’une des composantes de base du travail scolaire. Les structures se
sont complexifiées pour devenir, à l’instar de ce que décrit la pédagogie
institutionnelle, des sortes d’Atomium dont les éléments sont associés aux
institutions de la classe. Une institution peut être définie comme une
organisation symbolique soutenant les interrelations par l’introduction d’un
tiers médiateur. Dans la classe coopérative, peuvent être considérés
d’institutions le conseil, les équipes, leurs référents, les métiers, les
ceintures de comportement, la monnaie intérieure, le message clair, les
discussions à visée philosophique et tout ce qui conduit les enfants à user de
manière émancipatrice des libertés et des droits qui leurs sont confiés.
A l’image de ce que vivaient
les classes de cycle III, les enseignants des CP et des CE1 ont envisagé la
création de classes de cycle II. Au bout d’une année, le bilan a pu montrer
combien cette entreprise s’était avérée difficile et aléatoire pour les
acquisitions scolaires des élèves. Il est entre autres apparu que l’une des
barrières principales à des classes de cycle II était la trop faible présence
d’enfants capables de travailler sur des documents écrits et en mesure de
pouvoir apporter de l’aide aux apprentis lecteurs de la classe. La tentative n’a
donc pas été reconduite.
Des classes de cycle aux
classes uniques
Nous disposions toutefois d'une structure
pédagogique sur l'école ayant donné l'habitude aux enseignants de travailler à
plusieurs, monter des projets, les faire évoluer. De l'avis des anciens et au
regard des évaluations d’entrée en 6ème montrant que les élèves de
l’école n’étaient pas « moins bons » que ceux d’ailleurs, cela avait
contribué à l'amélioration du climat de travail et des résultats scolaires.
Cette structure initiale s'appuyait fortement sur le fonctionnement de classes
hétérogènes, sur la référence aux techniques Freinet, à la pédagogie
institutionnelle et sur l'emploi de la démarche et des outils PIDAPI.
Tout ne fonctionnait pourtant pas de manière
correcte, un certain nombre d'insatisfactions et de résistances étaient vécues
par plusieurs et un sentiment de perfectibilité de la structure et du projet
était partagé, notamment en ce qui concerne l’investissement scolaire des
enfants les plus en difficulté et l’apprentissage du lire-écrire. A l’inverse,
certains s’interrogeaient sur la pertinence d’un resserrement de la classe
multiâges plutôt que de son ouverture maximale, sans pour autant renier les
valeurs d’entraide et de coopération (que l’on peut d’ailleurs tout à fait faire
vivre dans une classe à niveau unique). Le désir de perfectionner l’existant
aurait pu prendre d’autres directions que celle de la classe
unique.
En 2003, une proposition de constituer un groupe de réflexion dont le but était d'envisager la création de classes uniques sur l'école a été faite en conseil des maîtres. Il s’agissait de regrouper pour des raisons pédagogiques des enfants inscrits du CP au CM2, à l’image de ce qui se vit dans quelques écoles rurales isolées pour des raisons d’effectifs. Le principe général était d’étendre aux élèves les plus jeunes de l’école l’expérience des classes de cycle III tout en essayant de dépasser les difficultés rencontrées par les classes de cycle II. Comme pour les projets précédents, personne n'était obligé de s’associer, les modalités de rencontre devaient être prises en fonction de la disponibilité des intéressés.
Ce groupe se bâtit autour
de sept personnes : six enseignants et une collègue PE2. Il s'est réuni
environ une fois par mois en plus des rencontres régulières organisées par le
groupe départemental de l’ICEM.
La première année de travail fut
consacrée à diverses lectures, dont celle du rapport de Françoise OEUVRARD sur
les classes uniques en milieu rural[3] et celle du livre de Bernard
COLLOT.[4] Nous avons ensuite établi une liste
de questions et de difficultés que nous devrions aborder pour une éventuelle
mise en place. A partir d'elle, un "programme" de travail a été construit,
programme qui nous a permis d'entrer dans une dynamique de tâtonnement
expérimental dans la mesure où un certain nombre de discussions donnaient alors
lieu à des mises en pratiques dans nos classes de cycle III. Nos échanges
étaient souvent enrichis des contributions apportées sur la liste de diffusion
Internet [3ème type].[5]
Ce fut notamment le cas pour
l’introduction des réunions quotidiennes, la modification de la configuration
spatiale des classes, la mise en route d'ateliers permanents, en somme, une
première confrontation aux phénomènes de dissipation. La dissipation est
entendue comme l’ensemble des activités des enfants échappant (ou pouvant
échapper) au contrôle de l’enseignant. Ce temps de travail a aussi été
l'occasion pour les enseignants de cycle III, de réfléchir fortement et
pratiquement à l'apprentissage du lire-écrire (un groupe d'enfants non-lecteurs
au cycle III a été créé et a suivi ce qui est désormais la démarche induite dans
nos classes uniques) et pour ceux de cycle II à la démarche PIDAPI. Avec du
recul, on s’aperçoit que ce premier
temps d'essais personnels s'est avéré à la fois indispensable pour l'affinage de
nos fonctionnements de classes et pour la décision finale de devenir responsable
d'une classe unique.
Vers le mois de février de la
seconde année, nous nous sommes dits qu'il était temps de se positionner de
manière personnelle quant à cette éventualité. Curieusement, ceux qui avaient le
plus avancé dans leurs classes furent les moins enthousiastes et un temps de
réflexion supplémentaire a été demandé. Courant avril, les membres du groupe se
sont positionnés, tous partants, avec la condition de ne pas être seul et de
pouvoir disposer d'une instance de parole visant la régulation et le soutien de
la vie de ces classes uniques.
Nous nous sommes alors attelés
à la rédaction d'un document de synthèse autour de ce projet permettant d'isoler
dans un premier temps les raisons liées à notre contexte motivant ce choix des
classes uniques, les intentions éducatives poursuivies, quelques repères
pédagogiques de fonctionnement et des éléments relatifs à l'évaluation de ce
projet, au partenariat mis en place. C'est avec ce texte que nous avons fait la
proposition au conseil des maîtres, proposition qui pouvait être rejetée,
accompagnée de l'idée de continuelle ouverture sur l'école. Le conseil des
maîtres a donné son accord et cette idée est entrée dans le projet d'école alors
en fin de construction.
Tout en poursuivant le travail
de fond, nous avons ensuite été conduits à en parler à l'inspectrice de la
circonscription, non pas pour lui demander son autorisation mais pour l'informer
des directions que l'école allait prendre pour les prochaines années et lui
présenter l'état actuel de la réflexion et le processus de recherche engagé. Ce
fut aussi l'occasion de la solliciter pour un suivi distancié de ce
projet.
A ce stade, nous nous sommes
aperçus que nous avions négligé deux partenaires : les parents et les collègues
de la maternelle, ce qui est apparu au terme du conseil d'école de présentation
de son projet et aussi de celui des classes uniques. Les rumeurs sont allées bon
train dans le quartier et certains ont eu facilement le loisir de dénigrer cette
perspective ce qui a eu pour conséquence la diffusion d'informations erronées et
fortement anxiogènes pour les parents. Heureusement qu'à ce stade du projet,
nous pouvions compter sur l'appui des collègues de l'école et de celui de l'IEN.
Mais cet oubli a des conséquences que nous subissons encore aujourd’hui.
Une fois la future équipe
enseignante connue, nous avons pu poser de manière formelle la structure de
l'école, en concertation avec les nouveaux arrivants. Il était alors clair pour
tous que seuls ceux ayant participé à ce travail de recherche pouvaient postuler
pour une telle classe hétérogène et que personne ne pouvait être contraint à en
devenir responsable dans le futur.
Pendant les vacances d’été, ce petit
groupe de réflexion s'est donné rendez-vous lors d’un stage organisé par l’ICEM
et les CREPSC[6] afin de pouvoir échanger sur
cette idée "3ème type" dans un cercle bien plus ouvert et élargi que le nôtre.
C'est d'ailleurs ce que nous avons pu y faire.
Après une première année
décrite par plusieurs comme difficile, l’ensemble des enseignants de ce projet
en a toutefois reconnu les bienfaits et surtout ses importantes potentialités de
devenir. C’est donc tout naturellement que ce projet a été poursuivi et que les
structures de classes ont continué à évoluer. Les principales modifications ont
concerné le resserrement des activités autour des compétences en Histoire,
géographie, sciences et lecture-écriture. Une attention plus forte est
maintenant donnée aux activités culturelles, notamment artistiques et
littéraires. En somme, il est apparu qu’après une première année de mise en
place dont une bonne partie a nécessité un « flou pédagogique »
important, la poursuite du projet apporte à la plupart des enfants que nous
accueillons des conditions optimales pour apprendre et faire de l’école un
véritable lieu de vie.
Les premières évaluations qui
ont mesuré le degré d’acquisitions scolaire ont pu montrer que les enfants
inscrits dans ces classes disposaient de compétences au moins égales à celles
d’enfants inscrits dans des écoles à profil similaire. Il nous apparaît pourtant
de manière évidente que la mutation des classes de cycle III et classes uniques
apporte une plus-value conséquente des acquisitions, tant au plan humain qu’au
niveau scolaire. Nous rencontrons au quotidien des enfants en activités,
fortement attirés par ce qui se passe à l’école, en recherche perpétuelle d’un
rapport sensible au savoir et se démarquant de manière conséquente de l’image
ordinaire que l’on peut parfois avoir des enfants vivant dans les cités urbaines
reconnues comme pauvres. Malheureusement, aucune étude n’est à ce jour en mesure
de valider cette hypothèse tant s’avère complexe une recherche pouvant
considérer la spécificité du profil des enfants accueillis et isoler des
variables indiquant l’impact réel d’une telle modification de structure.
Voilà donc ce qui précède ce qui existe aujourd'hui. C'est à la fois très contextuel et très humain. Contextuel parce que cela s'appuie sur une forte problématique d'école et tend à répondre à une série de difficultés à dépasser, notamment toutes celles concernant le travail à réaliser avec les familles pour qu’un relais éducatif soit proposé de manière cohérente dans les foyers. Humain parce que les acteurs se sont toujours donné le temps et le droit de rebrousser chemin et que l'aboutissement du projet n'a jamais été un but à atteindre. L’aventure se poursuit et elle ne devrait pas s’arrêter d’ici peu.
« Chaque jour est le tremplin du lendemain »
Michel BOUTHOT
[1] ICEM : Institut Coopératif de l’Ecole Moderne – Mouvement Freinet
[2] Document propre à chaque élève sur lequel, avec l’aide de l’enseignant, il programme, suit et évalue son travail personnel de la semaine.
[3] Voir entre autres à ce propos le numéro 365 des Cahiers Pédagogiques sur « L’école rurale, une école d’avenir » - Juin 1998.
[4] COLLOT B., « Une école du 3ème type ou la Pédagogie de la Mouche », L’Harmattan, 2002, 330 pages.
[6] Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication - www.marelle.org